Pour répondre à cette question nous avons fait appel à deux spécialistes, chefs d’entreprises du secteur adapté. Thomas Saillard d’un côté, fondateur et dirigeant de la société Innov and Co. Il propose les services de consultants rencontrant des difficultés à obtenir des missions, que ce soit en raison d’un handicap dont ils sont porteurs, ou de leur séniorité, genre ou origine culturelle.

Laurent Delannoy par ailleurs, fondateur et dirigeant de la société Avencod basée à Nice et qui propose à ses clients une expérience à dimension sociale de la sous-traitance du numérique. « La nature crée des différences, Avencod en fait des talents ».

Commençons par un rappel du cadre législatif car il a évolué relativement récemment semble-t-il :

Thomas Saillard : Ce n’est pas tant le cadre législatif qui a évolué. L’obligation d’emploi des travailleurs handicapés est toujours définie par la loi 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir pro. Le taux d’emploi des personnes en situation de handicap reste fixé à 6% de l’effectif de l’entreprise. Mais depuis le 1er janvier 2020 ce sont le champ d’application et les modalités de calcul qui ont changées.

L’unité prise en compte pour la détermination des 6% est désormais l’entreprise et non pas l’établissement. Toutes les entreprises de plus de 20 salariés sont concernées et les effectifs doivent être déterminés en ETP moyens (équivalents temps plein) sur l’année et non en fin d’année comme c’était le cas auparavant.

Ce qui a évolué aussi c’est le niveau du rescrit fiscal qui est encore plus intéressant qu’avant puisqu’il est passé à 30% de la facturation.

Le recours aux prestations de services des entreprises du secteur adapté est donc plus que jamais intéressant pour les grandes sociétés et grands groupes.

Laurent Delannoy : Oui en effet, il est possible de prendre en compte 30% de la sous-traitance au STPA (Secteur du Travail Protégé et Adapté) dans le cadre du complément financier devant être payé par les entreprises n’atteignant pas l’objectif d’emploi de 6% de personnes porteuses d’un handicap.

Le montant pris en compte est plafonné à 75% si l’entreprise atteint les 3% d’emplois handicap en interne, 50 % en dessous des 3%.

La déclaration correspondante (DOETH ou Déclaration Obligatoire d’Emploi des Travailleurs Handicapés) se fait de manière dématérialisée une fois par an dans le cadre de la DSN de janvier.

Il existe aussi des outils de type contractuel auxquels les entreprises peuvent recourir, comme le CDD tremplin par exemple, fait avec une Entreprise Adaptée et dans lequel un client final s’engage à transformer le CDD en CDI. Le CDD est en quelque sorte la phase de formation, d’accueil et d’adaptation dans l’entreprise. Le CDD tremplin permet de bénéficier d’un financement par l’état.

Thomas Saillard : On peut également mentionner l’alternance handicap pour laquelle l’EA se chargera de trouver la personne, d’organiser la formation et d’accompagner le ou la salarié(e) dans son intégration chez le client.

Et pour revenir sur l’intérêt pour les grands comptes de recourir aux services du secteur adapté, il est d’autant plus grand que l’effet de levier peut être considérable.

En effet, le rescrit fiscal étant de 30%, si l’entreprise fait appel à des prestataires du secteur protégé ayant une facturation élevée en raison de leur fort niveau d’expertise, une seule prestation facturée par une Entreprise Adaptée pourra compenser l’obligation d’emploi en interne de plusieurs personnes porteuses de handicap. L’effet de levier peut aller dans certains cas jusqu’à 6-8 ETP.

Intéressant … Et quelles sont les types de prestations concernées et pourquoi ?

Thomas Saillard : Tous les types de prestations fournies par les Entreprises Adaptées permettent aux grandes entreprises de répondre à leurs obligations. Il peut s’agir d’interventions au sein des équipes, dans les locaux du client, ou à distance ce qui est tout à fait possible et que la crise de la Covid-19 est venue confirmer.

Notre secteur d’activité particulier est celui de la prestation intellectuelle. Nous apportons des services en matière d’expertise métier et d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMOA) ou maîtrise d’œuvre (MOE).

Nous accompagnons nos intervenants tout au long de leur parcours, de la phase d’interview pour le job en question à la livraison du projet, en passant par les étapes d’intégration dans les équipes et de points de suivi réguliers.

Laurent Delannoy : Cette partie est très importante et c’est en quelque sorte notre raison d’être. Faire en sorte que les porteurs de handicaps que nous accompagnons puissent effectivement concrétiser leur montée en compétences et réussir les missions qui leurs sont confiées par les clients. Chaque personne accompagnée vient avec ses compétences et ses spécificités. Nous travaillons notamment avec des gens très bons dans le domaine du développement, des tests, de la manipulation de données (big data) et si l’un de nos employés vient à se voir proposer un CDI chez le client avec qui il a travaillé, nous en sommes tout à fait ravis et l’accompagnons dans sa démarche vers le milieu professionnel dit « ordinaire »

Alors si nous devions résumer, comment recourir aux prestations du secteur adapté permet aux grands comptes de contribuer à leurs engagements en matière de RSE ?

Laurent Delannoy : Il y a tout d’abord le côté règlementaire que nous avons évoqué au début. Et pour répondre favorablement les entreprises ont 3 possibilités :

  • L’emploi direct de personnes bénéficiant d’une RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé).
  • Le recours aux prestations des entreprises du secteur protégé (ESAT) ou adapté (EA). Il peut s’agir de recours direct dans le cadre de la sous-traitance, ou de sous-traitance intermédiée, ou de co-traitance.

Notons au passage que la crise sanitaire a permis de confirmer la possibilité d’un recours intensif au télé travail, ce qui est une vraie chance pour certains handicaps ou le simple fait d’avoir à se déplacer peut-être très pénalisant.

  • Le versement d’une contribution financière à l’association OETH (Objectif Emploi des Travailleurs Handicapés) en complément des deux premières possibilités.

Mais les engagements des entreprises en matière de RSE vont plus loin que la simple réponse à certaines obligations « administratives ».  D’autres effets secondaires et non des moindres peuvent être mis en avant dans le cadre du recours aux prestations adaptées.

Thomas Saillard : Oui tout à fait. L’apport de diversité dans les équipes est un facteur très positif pour la performance des entreprises. Cette diversité est ce qui nous caractérise. Nous accompagnons des personnes porteuses de handicap mais pas uniquement. Les femmes, les seniors et les étrangers font aussi partie de cette diversité. Par nos partenariats avec les grandes entreprises nous contribuons à renforcer la vocation sociale de l’entreprise. Et ceci se traduit aussi par plus de « matière », d’exemples concrets, pour les rapports extra financiers aux actionnaires notamment. Il s’agit de collaborations qui impactent la marque employeur de manière très positive.

Peut-on également parler de la satisfaction des managers lorsqu’ils parviennent à allier leurs objectifs professionnels et leur quête de sens ?

Laurent Delannoy : Oui effectivement. Ce n’est pas vrai pour tout le monde bien entendu mais de plus en plus fréquent avec la génération Z. Il n’y a pas non plus que la quête de sens. Je me souviens notamment d’un retour d’expérience du responsable R&D d’Amadeus lors d’une présentation chez Air France. Il avait été séduit par le côté très rigoureux des consultants que nous avions dédiés à ses besoins. Mais il avait aussi parlé de ce qu’il appelait les « effets secondaires » et notamment l’ouverture d’esprit que cette collaboration lui avait apportée, ainsi que les évolutions induites dans son mode de management (plus de diversité, plus d’inclusion, moins directif).

Merci Laurent et Thomas pour votre participation à cet interview croisé.

La RSE est de plus en plus présente dans les discussions de Nexoris avec les directions Achats des grands groupes. Il nous paraissait donc intéressant d’apporter votre éclairage de spécialistes du sujet à la communauté de clients, d’ESN et de consultants indépendants de Nexoris, sur ce qu’apporte le recours aux prestations des entreprises adaptées en général, et celles que vous dirigez au quotidien en particulier. Nexoris est ravi de vous compter parmi ses partenaires et de pouvoir collaborer avec vous au développement des prestations du secteur protégé et adapté en matière de prestations intellectuelles.